Bourrasque

Un blog qui parle d'économie et de politique

Photo de Donald Trump Donald Trump speaking at CPAC 2011 in Washington, D.C. by Gage Skidmore CC BY 2.0
Le 23 septembre 2017

Le retour du protec­tion­nisme aux États-Unis

Donald Trump a fait campagne sur le thème «Bring the jobs back», et il promet de le faire en mettant en place des mesures protec­tion­nistes : c’est-à-dire de mettre en place des taxes pour rendre les importations plus coûteuses et donner ainsi un avantage compétitif aux entreprises qui produisent localement. Comme toute idée portée par Trump, elle est forcément idiote et elle se fait descendre en règle par la majorité des médias. Même traitement de la part des économistes, qui n’ont cessé de faire l’apologie du libre-échange depuis le XIXème siècle, et pour lesquels le protec­tion­nisme est néces­sairement mauvais. Pourtant, les pays occidentaux se désin­dus­tria­lisent régulièrement depuis des années et il parait de plus en plus nécessaire de mettre fin à cette lame de fond qui emporte toute l’industrie occidentale et laisse des millions de personnes au chômage. Le protec­tion­nisme est une solution régulièrement évoquée dans le débat politique mais rarement discuté de façon factuelle, les anti-mondia­lisations étant toujours pour, et les libéraux idéo­lo­giquement contre. Le but de cet article est donc d’essayer de simuler les conséquences de la mise en place d’une mesure protec­tion­niste, en regardant comment elle affecterait les différents secteurs économiques selon différentes hypothèses.

La grosse inconnue : l’évolution du cours du dollar

Lorsqu’on parle du commerce inter­national entre deux pays dont la monnaie est différente, le taux de change entre ces monnaies est une variable centrale. Pour bien le comprendre, un petit exemple : admettons que le taux de change entre l’Euro et le Dollar soit de 1 (1€ = 1$). Prenons le cas d’une entreprise française, un producteur de vin de Bordeaux par exemple, à qui chaque bouteille de vin lui coûte 4.5€ à produire, et qu'il commer­cialise 5€ la bouteille. Un importateur américain va donc acheter la bouteille pour 5€. Pour cela, il doit se procurer 5€ sur le marché des changes, ce qui lui coûtera 5 dollars. Il pourra ensuite le vendre 7$ à un supermarché, empochant ainsi une marge de 2$.

Si le cours du dollar baisse par rapport à l’Euro, supposons maintenant que 1$ = 0.9€. L’importateur va donc payer 5.5$ par bouteille, s’il veut conserver sa marge, il va donc devoir vendre son vin 7.5$. Lorsque qu’une monnaie baisse sur le marché des changes, les importations deviennent plus coûteuses.

Symétri­quement, si le dollar monte (ou que l’Euro baisse), supposons que 1$ = 1.1€. L’importateur ne va plus payer que 4.5$ par bouteille. Il peut alors vendre son vin 6.5$ tout en conservant sa marge. Lorsque qu’une monnaie monte sur le marché des changes, les importations coûtent moins cher.

Pour le consommateur d’un pays, plus la monnaie de son pays se renforce sur le marché des changes, moins les biens de consommation importés lui coûtent cher : son pouvoir d’achat augmente. Par contre, le phénomène inverse se produit au niveau des exportations : pour une entreprise exportatrice, un renché­ris­sement de sa monnaie sur le marché des changes signifie que ses produits deviennent plus cher sur les marchés inter­nationaux, elle perd donc en compétitivité. Symétri­quement, une baisse du cours de sa monnaie rend l’entreprise exportatrice plus compétitive. Un affaiblissement de la monnaie agit donc dans le même sens qu’une mesure protec­tion­niste en dissuadant les importations, et le renforcement de la monnaie agit en sens contraire. L’impact d’une mesure protec­tion­niste est donc fortement dépendant de l’évolution des taux de changes qui va suivre la mise en place de cette mesure. Pour la suite de l’analyse, on va donc étudier les deux scénarios séparément.

Première possibilité : le cours du dollar augmente

Pourquoi le cours du dollar devrait donc monter ? Plusieurs mécanismes peuvent aboutir à l’augmentation du cours du dollar, je vais en présenter un pour illustration. Celui-ci se déroule en plusieurs étapes :

  1. La taxe protec­tion­niste rend les importations plus coûteuses, donc les Américains importent moins (car leurs revenus n’ont pas augmenté).
  2. Les entreprises offrent donc moins de dollar sur le marché des changes.
  3. Les exportations américaines, elles ne sont pas touchées par la règle, elles exportent donc toujours autant.
  4. Les entreprises étrangères ont donc toujours besoin d’autant de dollars pour acheter les produits américains.
  5. Comme il y a moins de dollars sur le marché, le prix d’un dollar augmente.

En théorie, le cours du dollar devrait donc se stabiliser à un niveau tel que les exportations et les importations s’équilibrent à nouveau. Sauf qu’en pratique, c’est plus compliqué que ça : par exemple, vous n’êtes pas sans savoir que les importations et les exportations ne sont pas du tout à l’équilibre aux États-Unis, et ce depuis une éternité (19771 pour être précis). Le marché des changes étant sensible à plein de paramètres ayant des effets antagonistes, bien malin celui qui peut prédire l’impact d’une mesure politique fiscale sur le cours du dollar.

Dans un premier temps admettons donc que le cours du dollar augmente. Ça n’annulerait pas l’effet de la taxe pour autant : la montée du cours du dollar provoquant mécaniquement une baisse des exportations, cette baisse ayant un effet modérateur sur la montée du dollar (s’il y a moins d’exportations, il y a moins de pénurie de dollar sur le marché des changes, ce qui empêche le cours du dollar de monter trop haut). On se retrouverait donc dans une situation où l’ensemble des échanges américains avec le reste du monde diminuent : à la fois les importations, sous l’effet de la hausse des prix induit par la taxe, et les exportations sous l’effet du renché­ris­sement du dollar. Les entreprises importatrices tout comme les entreprises exportatrices verraient donc leur situation économique se dégrader. Par contre, les entreprises produisant sur le sol américain, elles, s’en porteraient d’autant mieux : face au renché­ris­sement des voitures japonaises ou Allemandes, l’industrie américaine ayant là un avantage compétitif permettant de reconquérir son marché intérieur. Et cela vaut pour toutes les industries toujours présentes sur le sol américain.

L’effet final serait-il bénéfique ou néfaste ?

Question difficile, ça dépend de beaucoup de choses, et il y aurait beaucoup d’effet imbriqués, notamment :

Présenté comme ça, le tableau ne fait pas rêver : baisse de l’activité économique, montée du chômage et inflation.

Mais tout n’est pas noir pour autant, à moyen terme cette mesure avantage la production américaine de biens jusqu’alors importés. La production locale redevient compétitive, ce qui attire les investis­sements dans le secteur industriel américain, source de création d’emploi.

Lequel de ces deux phénomènes prendrait le dessus ? Bien malin celui qui pourrait le dire. Comme on l’a vu suite au référendum sur le Brexit, il est très difficile de quantifier les poids relatifs des différents effets : là où les économistes envisageait un ralentis­sement de l’économie plus ou moins important dès la deuxième moitié de l’année 20162, la réalité s’est avérée bien plus sournoise, avec une embellie économique lors du 2ème semestre 2016 prenant tout le monde à contre-pied. Le ralentis­sement étant finalement intervenu au cours du premier semestre 2017, mais on ignore encore si cela continuera par la suite.

Dans le cas qui nous intéresse, ce qui rend la situation d’autant plus difficile à anticiper, c’est l’existence d’un effet de spirale : si l’effet positif sur la production locale prédomine sur l’effet négatif de la diminution du commerce extérieure, l’économie américaine se portera relativement mieux que le reste du monde, donc les investis­sements sur la production intérieure seront d’autant plus attractifs, ce qui renforcera l’effet positif. Si c’est l’effet négatif qui l’emporte, l’économie américaine se portera mal, ce qui dissuadera les investisseurs d’investir sur le sol américain, ce qui ralentira la transition vers la production locale.

Et si le cours du dollar ne monte pas ?

Dans le premier scénario, on a envisagé l’hypothèse d’une hausse du cours du dollar sur le marché des changes, mais il est aussi possible que le cours du dollar ne monte pas, voire qu’il baisse. Soit spontanément, soit parce que le gouvernement américain fait en sorte qu’il ne monte pas en intervenant sur le marché des changes. En effet, contrairement à une baisse, une hausse de la valeur de sa monnaie sur le marché des changes est très facile à contrer : il suffit de vendre des dollars au rabais pour empêcher le taux de change de monter.

On en arrive donc à notre 2ème scénario : que se passerait-il dans le cas où le cours du dollar restait le même qu’aujourd’hui ?

Dans ce deuxième cas, les entreprises exportatrices ne seraient pas affectées, et la production locale serait encore plus avantagée, ce qui serait bénéfique à l’économie américaine. Cependant, la hausse des prix des produits importés n’étant pas amortie par une évolution des taux de change, l’augmentation des prix des biens de consommation pourrait être brutale, ce qui réduirait le pouvoir d’achat des ménages américains, et particu­lièrement les plus pauvres, et nuirait au secteur de la distribution. Quel effet serait prépondérant ? Encore une fois c’est dur à dire, mais le comportement de l’économie britannique suite à la chute de la Livre Sterling au lendemain du vote pour Brexit laisse envisager ce qui pourrait se produire dans un tel cas.

Conséquences inter­nationales

Du point de vue inter­national, une telle mesure peut avoir des effets plus ou moins importants :

La mise en œuvre d’une telle mesure constituerait dans tous les cas une rupture franche par rapport à la dynamique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, qui a vu la suppression progressive des droits de douane et l’explosion du commerce inter­national.

Que conclure :

On voit donc qu’une telle mesure protec­tion­niste, c’est un peu comme jouer le sort de son économie à pile ou face : si tout se passe bien, la ré-indus­tria­lisation compense les effets négatifs, mais si ça ne se passe pas si bien que prévu l’économie américaine peut prendre un coup sans pour autant permettre d’atteindre l’objectif initial. Par contre une chose est sûre elle provoquera une hausse des prix des biens de consommation aux États-Unis, ce qui pénaliserait à la fois les personnes aux revenus les plus modestes ainsi que les épargnants. Elle serait aussi vraisemb­lab­lement source de tensions inter­nationales et nuirait au commerce mondial. Enfin, de mon point de vue elle s’attaque à seulement l’un des deux aspects de la mondia­lisation : la mondia­lisation du commerce des biens, l’autre aspect étant la mondia­lisation des capitaux. Or c’est la deuxième qui est la plus nuisible ! Les déloca­li­sations ne sont pas causées par la seule circulation des biens : c’est parce qu’un industriel peut librement investir son capital dans un pays étranger qu’il délocalise. La libre circulation des capitaux encourage les investisseurs à faire des arbitrages sur le pays de destination de leurs investis­sements, et généralement ces arbitrages se font en faveur de pays pour lesquels le coût du travail est le plus faible. De mon point de vue, les mesures protec­tion­nistes visant à lutter contre la circulation des biens sans toucher à la mondia­lisation des mouvements de capitaux revient un peu à prendre le problème à l’envers.

Notes